1/ Ahmed, on trouve au sein des 10 titres nominés au Prix Konishi pour la traduction de manga deux titres de chez Ki-oon : Golden Kamui et Père & Fils. Félicitations ! Pouvez-vous nous parler de ces deux titres, des raisons pour lesquelles vous avez décidé de les publier ?
Golden Kamui est vraiment un ouvrage à part : c’est avant tout un récit d’action, celui d’une chasse au trésor, mais c’est aussi un véritable manuel de survie en milieu hostile ainsi qu’un bel ouvrage sur la culture méconnue des Aïnous, un peuple habitant sur l’île d’Hokkaido et vivant en harmonie avec la nature. La narration est clairement atypique : au beau milieu d’une course-poursuite, les héros s’offrent un petit cours de cuisine aïnou sur le ragoût d’écureuil ou les herbes aromatiques japonaises ! Cerise sur le gâteau, les personnages sont tous plus déjantés les uns que les autres… Bref, on ne pouvait pas passer à côté d’une telle pépite !
Quant à Père & Fils, c’est un registre complètement différent : on est dans la douceur, l’émotion, les sentiments. La série retrace les tribulations d’un père et de son fils qui apprennent à se connaître sur les routes après un événement tragique, c’est très beau et très touchant. Le trait est doux, délicat. Comment gérer le décès d’un proche et réapprendre à vivre, les relations parents/enfants… les thèmes abordés dans ce manga sont universels.
Père & Fils
Titre : Père & Fils
Titre japonais: ちちこぐさ
Auteur : Mi Tagawa
Traducteur : Géraldine Oudin
Editeur : Ki-oon
Genre : Shonen
Nombre de volumes : 6
Résumé :
Torakichi, herboriste itinérant, passe la majeure partie de son temps sur les routes pour rendre visite à ses clients. Résultat, il n’a quasiment jamais vu son fils de trois ans, Shiro… À la mort de sa femme, il prend une décision qui changera sa vie : celle d’emmener le petit garçon avec lui sur les routes !
Mais si Torakichi est incollable sur les plantes médicinales, il n’y connaît rien aux enfants et est loin d’être un père modèle… Pourquoi Shiro pleure-t-il ? Pourquoi se réveille-t-il en pleine nuit ? Entre les soucis du quotidien et son travail éreintant, le jeune papa est complètement dépassé. Les aléas du voyage et les rencontres diverses l’aideront-ils à renouer le lien perdu avec son fils ?
Commentaire du Premier Jury :
Père et fils est une œuvre sensible qui nous plonge au cœur des tourments enfantins et de la douceur de l’intimité familiale. Alliant beauté de la nature et bouleversements de la vie, l’histoire nous emmené au cœur de la relation père et fils d’un herboriste veuf, apprenant à établir un lien avec son jeune fils qu’il connait à peine et à qui sa mère manque cruellement.
Une narration fluide et maîtrisée vous glisse sans heurts dans cette relation familiale parfois complexe, souvent très tendre, drôle et attachante. Une œuvre à lire pour passer un bon moment et garder un léger sourire tout au long de la journée.
Claire Pélier (directrice, Ecole Internationale du Manga et de l’Animation)
Commentaire de la traductrice :
Quand l’assistante éditoriale de Ki-oon m’a parlé de Père & Fils, j’ai su qu’elle m’avait parfaitement cernée. L’histoire se déroulait à l’époque d’Edo, le protagoniste était herboriste : j’allais pouvoir mettre à profit mes connaissances du contexte et ma passion pour la botanique. Dans la version originale, les noms des plantes médicinales sont indiqués en japonais, la langue courante, et en chinois, la langue savante. Le parallèle entre les rôles du chinois et du latin m’est apparu comme une évidence, mais ce sont les noms vernaculaires qui m’ont fourni une bonne excuse pour partir en quête de références et d’inspiration dans une bibliothèque spécialisée. Sept tomes plus tard, je suis toujours sous le charme du travail de Mi Tagawa où, des relations entre les personnages aux détails historiques, tout sonne juste.
Géraldine Oudin
2/ Quelle a été la réaction du public sur ces deux titres ?
Très positive ! Père & Fils a reçu un bon accueil critique. Le sujet de départ, bien qu’assez sérieux, est traité de façon légère, avec autant de tendresse que d’humour, ce qui en fait un titre tout public avec une portée assez large. Il a su toucher des lecteurs de tous les âges. Mais nous sommes particulièrement fiers du succès de Golden Kamui : la série a trouvé un écho qui va bien au-delà du simple cercle des fans de manga, puisque nous avons été notamment conviés au musée du quai Branly pour une conférence sur les Aïnous et leur traitement par Satoru Noda. C’est manifestement une thématique qui intéresse, car leur culture est encore méconnue et pas forcément très présente dans le manga.
Golden Kamui
Titre : Golden Kamui
Titre japonais: ゴールデンカムイ
Auteur : Satoru Noda
Traducteur : Sébastien Ludmann
Editeur : Ki-oon
Genre : Seinen
Nombre de volumes : 8
Résumé :
Saichi Sugimoto est une véritable légende de la guerre russo-japonaise du début du 20ème siècle. Surnommé « l’Immortel », il a survécu aux pires batailles menées dans la région la plus sauvage du Japon : Hokkaido. Mais quand le conflit se termine, il se retrouve seul et sans le sou. C’est alors qu’il apprend l’existence d’un fabuleux trésor de 75 kilos d’or accumulé par les Aïnous, peuple autochtone vivant en harmonie avec la nature. Mais le trésor a été volé, puis caché, par un homme enfermé dans la pire prison de Hokkaido. Les seuls indices menant au butin sont de mystérieux tatouages, inscrits sur la peau-même de criminels évadés.Pour Sugimoto, la chasse au trésor est lancée !
Commentaire du Premier Jury :
La générosité est totale : en plus d’être un western homérique redoutablement découpé, Golden Kamui pratique l’immersion folklorique et invite le lecteur au défrichage d’une culture précieuse et fragile, celle de la minorité aïnoue. Alliant souffle romanesque et précision documentaire, Satoru Noda déroule des péripéties aux multiples ruptures tonales pour un résultat miraculeusement organique. Passant de quelques saillies gore et épiques à des parenthèses culinaires ultra détaillées, le mangaka précipite ses personnages dans un chaudron alchimique dont il maitrise tous les ingrédients. La densité de l’entreprise méritait bien une traduction à la hauteur des ambitions de Noda ; le travail, nourri, perspicace et fluide, de Sébastien Ludmann, s’impose alors comme une donnée essentielle à la pleine appréciation de cette œuvre dans sa version française.
Fausto Fasulo (rédacteur en chef, Atom)
Commentaire du traducteur :
Lorsqu’on m’a offert de travailler sur Golden Kamui, j’ai été tiraillé entre l’enthousiasme du lecteur et le pressentiment que la tâche serait complexe ; aux difficultés classiques inhérentes à la densité du texte s’ajoutaient des problèmes spécifiques : transcription de la langue aïnou, termes militaires ou botaniques sans équivalents, transposition de l’arrière-plan culturel…
Mais j’ai finalement relevé le défi, et mes appréhensions se sont transformées en satisfactions : l’établissement du lexique aïnou en concertation avec les éditeurs français et japonais brise la routine solitaire du traducteur et m’apprend une langue nouvelle. Quant au travail de recherche, il m’a amené deux fois dans les montagnes enneigées d’Hokkaido, à la découverte d’une culture incroyablement riche, alors aujourd’hui, je dis : « Merci, Golden Kamui ! »
Sébastien Ludmann
3/ Un mot tout de même sur la traduction de ces deux titres ?
Ce sont deux titres d’un genre tout à fait différent, et c’est également valable pour l’adaptation ! L’univers de Golden Kamui est dur, mais aussi complètement déjanté. On travaille avec Sébastien Ludmann, le traducteur, afin de garder l’humour et les répliques savoureuses des personnages, par exemple en jouant avec un argot un peu ancien. Et pour les scènes d’action, il faut aller chercher un dialogue qui sonne, efficace. Alors que pour Père & Fils, tout est une question de nuances. Changer un ou deux mots peut suffire à donner une intonation différente à la phrase, il faut donc faire très attention au choix des termes qu’on utilise pour conserver ou faire naître l’émotion.
Ce qu’il est amusant de constater, c’est que malgré tout, certaines problématiques sont communes. Dans un cas comme dans l’autre, la traduction se doit d’être extrêmement documentée, puisqu’il s’agit de mangas ancrés dans un contexte particulier : l’herboristerie pour Père & Fils et la culture aïnou pour Golden Kamui. Ça demande au traducteur pas mal de recherches sur des termes spécifiques comme les noms des plantes, des objets, etc. Il faut bien sûr essayer d’éviter les anachronismes également !
4/ Plus globalement, comment se passe au sein de Ki-oon le travail avec les traducteurs et traductrices ?
On ne travaille pas comme certaines maisons avec des binômes traducteur/adaptateur. Tous nos traducteurs gèrent eux-même l’adaptation, le style, le niveau de langue, etc. Il s’agit vraiment d’un travail collectif : ils nous fournissent la version qu’ils estiment la plus fidèle au texte japonais. Quand je dis fidèle, je ne parle pas de traduction littérale, mais de rendre au mieux l’esprit du manga, la volonté de l’auteur, quitte à s’éloigner un peu de la phrase originale. Notre trio d’assistantes d’édition repasse alors sur le manga et, si on estime qu’il faut changer quelque chose, qu’on peut encore améliorer le texte ou aller plus loin, on le fait. Si elles ont un doute, elles appellent le traducteur pour voir directement avec lui. Le texte part ensuite en correction orthographique.
5/ Avec l’expérience engrangée par Ki-oon au fil des années, votre mode de travail sur les traductions a-t-il évolué ?
Eh bien au bout du compte, pas tellement ! Comme nous nous sommes beaucoup développés en plus de dix ans d’existence, le service a grandi, bien sûr. Mais on essaie de conserver l’esprits des débuts. Notre priorité a toujours été d’offrir au lecteur le texte le plus lisible possible : sans contresens, sans approximations, des dialogues clairs et naturels, qui sonnent bien… le tout dans un français correct, dans le respect de la grammaire, de l’orthographe. Et surtout, de ne pas trahir le texte original, même s’il est bien connu que “traduire, c’est trahir”. Forcément, on est parfois amené à faire des choix, on ne peut pas garder tous les jeux de mots ou tous les doubles sens japonais, mais on essaie de faire au mieux. C’est très important pour nous !
6/ Quelle est l’actualité du catalogue Ki-oon ? De nouvelles tendances ? de nouveaux projets à venir ?
Cette année, nous avons justement lancé une nouvelle collection qui s’adresse à des lecteurs pas forcément connaisseurs ou grands lecteurs de mangas. Elle s’appelle “Kizuna”, et elle aborde des thématiques larges pouvant parler de 7 à 77 ans. “Kizuna”, en japonais, c’est le lien, la force d’attraction qui relie les gens et les choses entre eux. C’est ça que Ki-oon veut susciter entre des lecteurs de tous horizons et de tous âges, au travers d’œuvres à vocation universelle. C’est un type de manga que nous avions déjà publié par le passé, par exemple avec Bride Stories qui a reçu le prix Intergénérations au festival d’Angoulême ou avec Père & Fils, mais, cette fois, nous avons décidé de les regrouper au sein d’une même collection. Les premiers titres, Reine d’Égypte, Hanada le garnement et Isabella Bird, femme exploratrice, sont déjà sortis. Quand aux projets futurs, rendez-vous en 2018 pour les découvrir !
7/ Une anecdote intéressante ou amusante à propos de la traduction ?
Sébastien Ludmann, le traducteur de Golden Kamui, travaille également sur Kasane – La voleuse de visage. D’ailleurs, comme il habite au Japon, il a eu l’occasion d’assister au tournage du film tiré de la série. (On le verra peut-être même à l’écran, car il se trouve dans le public qui applaudit lors de la prestation de l’héroïne sur Salomé !) Bref, l’auteur du manga, Daruma MATSUURA, est vraiment enthousiaste vis-à-vis de la publication française, c’est très touchant. En recevant le tome 8, elle a publié sur Twitter une case de la version Ki-oon du manga accompagné du commentaire suivant : “On a reçu Kasane 8 version française. En le parcourant, je suis tombée sur le moment où Nogiku tape contre le mur en béton. Et dans ma tête, l’onomatopée “BOUM” a résonné “bo-ou-nn”, ça avait un côté apaisant…” On a trouvé ça super sympa, car on envoie toujours des exemplaires à l’éditeur japonais afin qu’il voie le travail accompli, mais on n’a pas forcément de retour des auteurs.