1/ On trouve au sein des 10 titres nommés pour le Prix Konishi pour la traduction de manga deux titres de chez Kana : « Le Club des divorcés » et « Dead dead demon’s dededede destruction». Félicitations ! Pouvez-vous nous parler de ces deux titres, les raisons pour lesquelles vous avez décidé de les publier ? Commençons par le « Club des divorcés » dont vous vous occupez, Élodie.
(Élodie) C’est Yves Schlirf et Christel Hoolans qui ont eu le coup de foudre pour Kamimura lors d’un voyage au Japon. L’élégance de son trait, la fluidité de sa narration et la force de son style leur ont tapé dans l’œil.
Kazuo Kamimura est un auteur que nous aimons beaucoup chez Kana. C’est Kazuo Kamimura qui a inauguré la collection « Sensei » avec Lady Snowblood. Petit à petit, la collection s’est étoffée avec d’autres grands noms du manga mais Kazuo Kamimura constitue encore le cœur de cette collection.
Dans Le Club des divorcés, on suit Yûko qui lutte pour construire son indépendance chaque jour. Mais en tant que femme divorcée, indépendante et tenancière, elle est mise en marge de la société.
Avec son style élégant et raffiné, Kazuo Kamimura met en scène des femmes fortes aux caractères trempés et aux destins parfois tragiques… Ses œuvres comportent toujours un thème qui reflète notre actualité et qui en font des titres indémodables !
Le club des divorcés
Titre : Le club des divorcés
Titre japonais: 離婚倶楽部
Auteur : Kazuo Kamimura
Traducteur : Samson Sylvain
Editeur : Kana
Genre : Seinen
Nombre de volumes : 2
Résumé :
L’auteur Kazuo Kamimura s’attaque à un tabou toujours vivace de la société japonaise : le divorce.
Le « Club des Divorcés » est un petit bar à Ginza géré par Yukô, jeune femme de 25 ans, divorcée. Elle devient la « mama » du bar après son divorce afin de subvenir aux besoins de sa petite fille de trois ans. Dans cette série en deux tomes, on découvre le quotidien difficile d’une hôtesse, patronne et femme divorcée dans le Japon des années 70.
Commentaire du Premier Jury :
Maître des espaces négatifs, tirant parti des vides comme des aplats pour conférer une stupéfiante intensité à ses dessins, Kazuo Kamimura parvient dans le Club des divorcés à transposer cette frugalité visuelle au niveau du texte. Engagée sur le sentier escarpé de la liberté, Yûko y joue son destin dans un éloge de l’insignifiance, de la promenade en silence, du demi-mot. Au bord de son comptoir, le flirt et le tête-à-tête anodin deviennent alors des moyens d’éloigner la fin des idéaux (la passion amoureuse, le mariage, la famille…) autant qu’une façon de révéler une époque.
Marius Chapuis (journaliste, Libération)
Commentaire du traducteur :
Le Club des divorcés de Kamimura Kazuo est une peinture aiguisée de la société japonaise et de de la situation des femmes lorsqu’elles sortent du cadre du mariage. C’est un manifeste féministe engagé qui décrit minutieusement l’une des clés de la culture japonaise: le bar, le « club », où se nouent des liens complexes entre la tenancière et ses clients. C’était donc une expérience incroyablement enrichissante, tout autant qu’un véritable challenge, que de naviguer dans ces niveaux de langue, entre distance marquée et familiarité, messages dissimulés et déclarations éméchées. Travailler cette langue, qui se délie sous l’effet de l’alcool, c’est aussi traverser les arcanes de la société japonaise, et tenter d’en décrypter les règles qui régissent les rapports entre hommes et femmes.
Samson Sylvain
2/ Sylvie, pouvez-vous nous parler de « Dead dead demon’s dededede destruction» d’Inio Asano ?
(Sylvie) Éditer un titre d’Inio Asano est un grand plaisir et une grande fierté. Chez Kana, nous sommes admirateurs de son travail depuis ses débuts. Dès Un monde formidable, Solanin, Le Quartier de la lumière jusqu’à l’osé Bonne nuit Punpun ! et le déjanté Dead dead demon’s dededede destruction, Inio Asano est bluffant dans son travail sur les ambiances, la précision du dessin et de la mise en page, la double-triple-quadruple lecture que l’on peut faire de ses œuvres et, en fil rouge, un certain désenchantement mais qui ne sombre jamais dans le pessimisme. De chaque lecture, on ne ressort jamais tout à fait pareil.
Un journaliste japonais parlant de la série avait titré « Ce n’est pas la ‘Fin du Monde qui approche’, mais ‘Une fin du Monde déjà en marche’… ». Avec cette histoire de vaisseau extra-terrestre flottant statiquement au-dessus de Tokyo, et la vie qui se poursuit comme si de rien n’était (hum… vraiment ?) notamment pour Kadode et Ôran, deux lycéennes hyper-attachantes, Asano nous propose rien de moins qu’une allégorie moderne décryptant la société japonaise post-Fukushima.
Dead Dead Demon’s Dededede Destruction
Titre : Dead Dead Demon’s Dededede Destruction
Titre japonais: デッドデッドデーモンズデデデデ デストラクション
Auteur : Inio Asano
Traducteur : Thibaud Desbief
Editeur : Kana
Genre : Seinen
Nombre de volumes : 6
Résumé :
Depuis 3 ans, le ciel de Tokyo est recouvert par un gigantesque vaisseau spatial extra-terrestre. Pourtant, aucune attaque de la part des extra-terrestres n’est recensée bien que les humains abattent, avec une facilité déconcertante, les petits vaisseaux qui sortent de temps en temps du ventre de l’immense engin…
Pendant ce temps, sur Terre, les deux amies Kadode et Ôran, comme la majorité des humains, ne prêtent plus attention à ce vaisseau et continuent à vivre leur vie. Mais ces 3 années de paix ont endormi la vigilance de l’Humanité… Elle ne remarque pas que « l’envahisseur » s’est infiltré au sein de sa population. Et il pourrait bientôt troubler leur paisible quotidien !
Commentaire du Premier Jury :
Auteur important et extrêmement talentueux dans le monde du manga, Inio Asano revient en très grande forme avec ce titre, assurément un des meilleurs manga seinen de ces dernières années. Avec une Terre promise à sa destruction dans 6 mois à venir, cette histoire accessible et intelligente, au dessin fabuleux, sait tenir en haleine le lecteur. Asano est incontestablement un auteur emblématique parmi la nouvelle génération. la traduction semble au diapason du talent d’Asano toujours juste et inventive dans le choix des mots pour transcrire son imagination profondément originale.
Jerôme Marcot (libraire, FNAC Montparnasse)
Commentaire du traducteur :
Inio ASANO ne propose jamais deux fois le même manga. Il le prouve encore une fois avec Dead dead demon’s dededede destruction (DDDDD), récit de vies ordinaires dans une situation pour le moins extraordinaire : une soudaine invasion extraterrestre, annonciatrice de la fin du monde.
Le contexte n’est en réalité qu’un prétexte pour raconter les turpitudes de la vie d’une bande de copines, toutes dotées d’une très forte personnalité.
Kadode et Ôran, héroïnes aussi attachantes que déjantées exercent un véritable pouvoir de séduction sur le lecteur. Parvenir à restituer tout leur charme est le principal défi de la traduction de DDDDD.
Thibaud Desbief
3/ Quelle a été la réaction du public sur ces deux titres ?
(Sylvie) Sur les deux titres, on a eu des retours globalement très positifs. Au sujet de Dead dead demon’s, outre la qualité du dessin indéniable, plusieurs ont souligné l’intérêt voire la nécessité de parler de nos société endormies, du message presque politique qui sous-tend cette œuvre d’Asano. Par ailleurs, le côté très attachant de la bande de copines tranche vraiment avec le suspense amené par le tragique de la situation et tranche par rapport aux autres titres d’Inio Asano. Le public féminin est peut-être plus large sur cette série que sur les précédents titres de l’auteur. Avec cette série, Inio Asano aurait-il inventé le tragico-kawaï ?
(Élodie) Les fans de Kazuo Kamimura étaient au rendez-vous pour la sortie du Club des divorcés. Et la presse est souvent sous le charme du trait de Kazuo Kamimura. Nous pouvons dire que l’accueil est toujours très enthousiaste. Mais c’est l’exposition à Angoulême en 2017 ainsi que le prix du Patrimoine qui lui a été attribué la même année, qui a donné une plus grande visibilité à ce titre. Je pense que beaucoup de personnes ont découvert Le club des divorcés à cette occasion et aussi les autres œuvres de Kazuo Kamimura.
4/ Un mot tout de même sur la traduction de ces deux titres ?
(Sylvie) J’ai eu la chance de suivre chacune des traductions d’Inio Asano de près. J’ai notamment essayé, avec Thibaud Desbief, d’apporter, par la précision des mots et de la langue française une pierre à l’édifice afin de restituer l’essence de ce que l’on peut déjà appeler l’œuvre d’Inio Asano ! Chez Kana, nous resterons à jamais ses fans et nous serons, c’est certain, à l’affût de ses prochaines œuvres.
(Élodie) Pour ma part, Le Club des divorcés est le premier titre de Kazuo Kamimura sur lequel j’ai travaillé. J’étais ravie de découvrir la délicatesse du texte qui accompagne le rafinement du dessin. Parfois il y aussi des phrases qui rompent cette mélodie, la soirée avance et les personnages ont des paroles qui dépassent leur pensée… Là encore, le dessin accompagne le texte, Ken, Sachiko… les personnages font une drôle de tête en proférant ces paroles.
5/ Plus globalement, comment se passe au sein de Kana le travail avec les traducteurs et traductrices ?
(Sylvie) Cela se passe très bien. C’est une collaboration, un dialogue même entre le(la) traducteur(trice), le(la) correcteur(trice) et nous-mêmes qui travaillons sur la série à l’éditorial Kana. Chacun apporte son point de vue spécialisé pour à l’arrivée proposer la traduction la plus fidèle possible mais aussi la plus fluide, lisible, compréhensible pour notre lectorat.
(Élodie) Nous avons également deux étapes de correction. Lors de la première étape, le(la) correcteur(trice) a souvent de bonnes suggestions. Par exemple pour les super pouvoirs, les correcteurs(trices) poussent souvent le champ lexical du type de pouvoir jusqu’au bout. Il est arrivé que certaines répliques soient plus riches en français qu’elles ne l’étaient en japonais. C’est l’une des forces de l’adaptation.
6/ Avec l’expérience engrangée par Kana au fil des années, votre mode de travail sur les traductions a-t-il évolué ?
(Sylvie) Oui, bien évidemment ! Chaque travail d’une nouvelle traduction nous fait nous remettre en questions. C’est important. Nous collaborons avec beaucoup de traducteurs(trices) différents, ce qui apporte une grande richesse au catalogue aussi. Par ailleurs, il faut rester attentifs aux évolutions de la langue, à la compréhension du contexte, aux particularités de telle ou telle série. Même si le processus en lui-même est bien rôdé, les questions que l’on continue à se poser même encore après plusieurs années d’expérience restent le fondement de notre travail.
7/ Quelle est l’actualité du catalogue Kana ? De nouvelles tendances ? De nouveaux projets à venir ?
TM&DC Comics. All Rights Reserved.
8/ Une anécdote intéressante ou amusante à propos de la traduction ?
(Élodie) La correctrice de Nekomura-san nous a raconté que sa voisine, une Japonaise, lisait Nekomura-san en français. Lorsqu’elle lui a demandé pourquoi elle ne le lisait pas dans sa langue maternelle, elle lui a répondu que ce manga était bien plus amusant en français. C’est Thibaud Desbief qui traduit ce titre et Sylvie a suivi le début de la série, maintenant c’est Caroline, qui coordonne la série. Je pense que c’est l’un des plus beaux compliments que l’on pouvait nous faire !