Interview exclusive de Marc Bernabé, un des plus grands traducteurs espagnols de manga japonais et directeur de la société de traduction de manga Daruma Serveis Linguistics.
Comment se porte le marché du manga japonais en Espagne ?
Marc : aujourd’hui, le marché du manga en Espagne connaît son plus gros pic historique avec plus de 800 volumes de manga (tankobon) publiés en 2018. Pour retracer simplement l’histoire du manga en Espagne, le premier boom du manga remonte au milieu des années 90 avec l’arrivée de titres populaires à la télévision, à commencer par le raz-de-marée Dragon Ball. Le deuxième boom eu lieu au début des années 2000 avec une profusion de nouveaux titres traduits, puis le marché chuta avec la crise économique. Depuis quelques années, le marché est vraiment reparti à la hausse. Les Shonen manga comme ceux du magazine Shonen Jump restent les locomotives du marché en terme de vente (même si nous n’avons pas les chiffres de vente de la part des éditeurs espagnols) mais on assiste à une vraie diversification des genres, avec beaucoup de seinen, du shojo, du BL, Light Novel, etc.. Autant de publications qui s’avéraient impensables il y a quelques années. Nous sommes donc dans une situation de grande opulence en terme d’offre.
Marc : aujourd’hui, le marché du manga en Espagne connaît son plus gros pic historique avec plus de 800 volumes de manga (tankobon) publiés en 2018. Pour retracer simplement l’histoire du manga en Espagne, le premier boom du manga remonte au milieu des années 90 avec l’arrivée de titres populaires à la télévision, à commencer par le raz-de-marée Dragon Ball. Le deuxième boom eu lieu au début des années 2000 avec une profusion de nouveaux titres traduits, puis le marché chuta avec la crise économique. Depuis quelques années, le marché est vraiment reparti à la hausse. Les Shonen manga comme ceux du magazine Shonen Jump restent les locomotives du marché en terme de vente (même si nous n’avons pas les chiffres de vente de la part des éditeurs espagnols) mais on assiste à une vraie diversification des genres, avec beaucoup de seinen, du shojo, du BL, Light Novel, etc.. Autant de publications qui s’avéraient impensables il y a quelques années. Nous sommes donc dans une situation de grande opulence en terme d’offre.
Quels sont les grands éditeurs de manga en Espagne ?
Marc : on retrouve à la tête du marché du manga en Espagne trois grandes maisons d’édition, Planeta Comic, Norma Editorial et Ivrea, suivis par deux autres éditeurs, E.C.C. et Milky Way. Panini Manga Espana, aussi assez actif, et d’autres petits éditeurs contribuent également à la vitalité de ce marché.
Marc : on retrouve à la tête du marché du manga en Espagne trois grandes maisons d’édition, Planeta Comic, Norma Editorial et Ivrea, suivis par deux autres éditeurs, E.C.C. et Milky Way. Panini Manga Espana, aussi assez actif, et d’autres petits éditeurs contribuent également à la vitalité de ce marché.
Ces éditions en espagnol, sont-elles commercialisées en Amérique latine par les éditeurs espagnoles ?
Marc : en langue espagnole, il existe trois marchés différents de manga : l’Espagne, le Mexique et l’Argentine. Chaque région a sa propre traduction, réalisée depuis le texte original en japonais. Pour l’Argentine et le Mexique, il ne s’agit donc pas d’une adaptation de la traduction faite préalablement en castillan par les Espagnols. On peut donc lire Dragon Ball en espagnol avec 3 versions très différentes. Par exemple, en castillan, l’espagnol d’Espagne, on utilise « vosotros » pour dire « vous » alors qu’en Amérique Latine, on dit « ustedes ». Le « tu » s’utilise en Espagne ou au Mexique mais en Argentine on dit « vos ». En castillan, on a tendance à traduire en prenant pas mal de liberté avec le texte de base afin de pouvoir utiliser un langage le plus proche possible du langage parlé en Espagne. Les Mexicains qui ont pourtant un langage avec un jargon très prononcé ont tendance eux à traduire sur un ton beaucoup plus neutre, sans doute dans un souci d’ouverture aux autres pays d’Amérique Latine. Autre petit exemple en image avec une case de Gantz, d’Hiroya Oku :
Marc : en langue espagnole, il existe trois marchés différents de manga : l’Espagne, le Mexique et l’Argentine. Chaque région a sa propre traduction, réalisée depuis le texte original en japonais. Pour l’Argentine et le Mexique, il ne s’agit donc pas d’une adaptation de la traduction faite préalablement en castillan par les Espagnols. On peut donc lire Dragon Ball en espagnol avec 3 versions très différentes. Par exemple, en castillan, l’espagnol d’Espagne, on utilise « vosotros » pour dire « vous » alors qu’en Amérique Latine, on dit « ustedes ». Le « tu » s’utilise en Espagne ou au Mexique mais en Argentine on dit « vos ». En castillan, on a tendance à traduire en prenant pas mal de liberté avec le texte de base afin de pouvoir utiliser un langage le plus proche possible du langage parlé en Espagne. Les Mexicains qui ont pourtant un langage avec un jargon très prononcé ont tendance eux à traduire sur un ton beaucoup plus neutre, sans doute dans un souci d’ouverture aux autres pays d’Amérique Latine. Autre petit exemple en image avec une case de Gantz, d’Hiroya Oku :
Tout dernièrement l’éditeur Panini, installé à la fois en Espagne et en Amérique Latine commence sur certains titres à travailler sur des adaptations des traductions en castillan, plutôt que de traduire de nouveau depuis le japonais.
Comment êtes-vous devenu traducteur de manga ?
Marc : j’ai tout d’abord suivi un cursus universitaire spécialisé dans la traduction en Japonais dans une des trois universités qui proposent cette formation (à Barcelone, Salamanque et Madrid). En 2000, je revenais d’une année d’étude au Japon et on m’a proposé de travailler sur la traduction d’un nouvel animé pour la télévision, Crayon Shin chan. Cette série a de suite connu un succès énorme en Espagne, un véritable phénomène de société. Cela m’a permis d’approcher Planeta Comics et Glenat Espana pour traduire du manga. Coup de bol, les deux cherchaient justement de nouveaux traducteurs de manga. Surtout Glénat Espana qui avait l’habitude de traduire les titres publiés par Glénat France, depuis le français donc. Dans sa volonté de développement de nouveaux titres, il devenait urgent pour Glénat Espana de ne plus être dépendant du traducteur français. Avec une collègue traductrice, nous avons commencé à travailler beaucoup pour Glénat Espana qui sortait de plus en plus de titres. Au début nous n’avions que 4 ou 5 titres à traduire par mois, ce que nous arrivions à faire. Mais très vite nous nous sommes retrouvés très juste pour répondre à la demande des éditeurs Espagnols, avec 10, 15 titres par mois à gérer. Avec ma collègue, nous avons alors fondé une équipe informelle de traducteurs avec d’autres, puis une société de traduction de manga, Daruma Serveis Linguistics, pour pouvoir recruter d’autres traducteurs. Notre société compte aujourd’hui environ une vingtaine de traducteurs free-lance et couvre de 30 à 40 % des traductions de manga qui sortent en Espagne. Nous avons 5 à 6 personnes en interne, eux-mêmes traducteurs, dédiés à la vérification des traductions. Les éditeurs effectuent eux aussi une vérification des traductions plus ou moins poussée selon les éditeurs, mais nous tenons à nous assurer par nous-même de la qualité de nos traductions, et cela depuis nos débuts avec ma collègue. Ce contrôle interne limite par la suite les échanges que nous pourrions avoir avec les éditeurs sur d’éventuelles coquilles ou traduction manquante. Notre société gère ainsi la traduction d’environ 50 volumes par mois, avec un pic en août dernier à plus de 100 volumes traduits. En tant que responsable de cette structure, je fais donc beaucoup de gestion de traduction, mais je continue à traduire aussi parce que c’est ce que j’aime avant tout.
Marc : j’ai tout d’abord suivi un cursus universitaire spécialisé dans la traduction en Japonais dans une des trois universités qui proposent cette formation (à Barcelone, Salamanque et Madrid). En 2000, je revenais d’une année d’étude au Japon et on m’a proposé de travailler sur la traduction d’un nouvel animé pour la télévision, Crayon Shin chan. Cette série a de suite connu un succès énorme en Espagne, un véritable phénomène de société. Cela m’a permis d’approcher Planeta Comics et Glenat Espana pour traduire du manga. Coup de bol, les deux cherchaient justement de nouveaux traducteurs de manga. Surtout Glénat Espana qui avait l’habitude de traduire les titres publiés par Glénat France, depuis le français donc. Dans sa volonté de développement de nouveaux titres, il devenait urgent pour Glénat Espana de ne plus être dépendant du traducteur français. Avec une collègue traductrice, nous avons commencé à travailler beaucoup pour Glénat Espana qui sortait de plus en plus de titres. Au début nous n’avions que 4 ou 5 titres à traduire par mois, ce que nous arrivions à faire. Mais très vite nous nous sommes retrouvés très juste pour répondre à la demande des éditeurs Espagnols, avec 10, 15 titres par mois à gérer. Avec ma collègue, nous avons alors fondé une équipe informelle de traducteurs avec d’autres, puis une société de traduction de manga, Daruma Serveis Linguistics, pour pouvoir recruter d’autres traducteurs. Notre société compte aujourd’hui environ une vingtaine de traducteurs free-lance et couvre de 30 à 40 % des traductions de manga qui sortent en Espagne. Nous avons 5 à 6 personnes en interne, eux-mêmes traducteurs, dédiés à la vérification des traductions. Les éditeurs effectuent eux aussi une vérification des traductions plus ou moins poussée selon les éditeurs, mais nous tenons à nous assurer par nous-même de la qualité de nos traductions, et cela depuis nos débuts avec ma collègue. Ce contrôle interne limite par la suite les échanges que nous pourrions avoir avec les éditeurs sur d’éventuelles coquilles ou traduction manquante. Notre société gère ainsi la traduction d’environ 50 volumes par mois, avec un pic en août dernier à plus de 100 volumes traduits. En tant que responsable de cette structure, je fais donc beaucoup de gestion de traduction, mais je continue à traduire aussi parce que c’est ce que j’aime avant tout.
Quels sont les titres que vous avez traduit dernièrement ou que vous traduisez actuellement ?
Marc : en ce moment je travaille beaucoup sur des œuvres classiques, ce que j’aime le plus, comme par exemple celles d’Osamu Tezuka. J’ai la chance d’avoir traduit la majorité des titres d’Osamu Tezuka en espagnol. Je suis aussi en train de traduire Hokuto no Ken, Banana Fish, et Platinum End aussi, ayant par le passé traduit Death Note et Bakuman. La traduction de Platinum End est pour l’édition espagnole du Jump plus, en publication mensuelle sur l’appli Manga Plus de Shueisha.
Marc : en ce moment je travaille beaucoup sur des œuvres classiques, ce que j’aime le plus, comme par exemple celles d’Osamu Tezuka. J’ai la chance d’avoir traduit la majorité des titres d’Osamu Tezuka en espagnol. Je suis aussi en train de traduire Hokuto no Ken, Banana Fish, et Platinum End aussi, ayant par le passé traduit Death Note et Bakuman. La traduction de Platinum End est pour l’édition espagnole du Jump plus, en publication mensuelle sur l’appli Manga Plus de Shueisha.
Trouvez-vous que le niveau général des traductions de manga en Espagne s’améliore ?
Marc : je ne peux parler que de ce que je vois avec les traducteurs avec lesquels nous travaillons et ceux qui postulent chez nous. Beaucoup de ces derniers ont un très bon niveau en japonais, mais montrent lors des tests des faiblesses en espagnol, avec une maîtrise assez approximative de la langue, un manque de style, des phrases pas assez fluides pour du manga, voir des fautes de grammaire, d’orthographe, de syntaxe, etc. La maîtrise de la langue natale est tout aussi importante que celle du japonais dans ce métier. Le cursus scolaire ou linguistique ne fait donc pas tout pour nous, et nous sommes extrêmement regardants quant au test de traduction.
Marc : je ne peux parler que de ce que je vois avec les traducteurs avec lesquels nous travaillons et ceux qui postulent chez nous. Beaucoup de ces derniers ont un très bon niveau en japonais, mais montrent lors des tests des faiblesses en espagnol, avec une maîtrise assez approximative de la langue, un manque de style, des phrases pas assez fluides pour du manga, voir des fautes de grammaire, d’orthographe, de syntaxe, etc. La maîtrise de la langue natale est tout aussi importante que celle du japonais dans ce métier. Le cursus scolaire ou linguistique ne fait donc pas tout pour nous, et nous sommes extrêmement regardants quant au test de traduction.
Peut-on vivre de la traduction de manga en espagnol aujourd’hui ?
Marc : je crois que oui car le marché est très dynamique et qu’il y a beaucoup de titres qui sortent, donc beaucoup de traduction à faire. Le problème est que les tarifs de traduction n’ont jamais évolué alors que le coût de la vie, lui augmente sans cesse. On compense donc ce décalage en acceptant toujours plus de travail, sans pour autant gagner bien nos vies. Il faudra tout de même que cette conjoncture positive pour le manga en Espagne profite aussi un peu plus aux traducteurs. Les différentes crises économiques ont toutefois laissé des traces dans les mentalités et il est difficile d’être exigeant dans ce milieu tout de même très compétitif aux marges réduites. Pour Daruma, étant nous-même traducteurs, on essaye d’équilibrer les charges de travail pour que chacun arrive à s’en sortir, ne se retrouve pas qu’avec des traductions difficiles et chronophages à faire. Le temps qu’on passe sur chaque traduction est très important et détermine au final nos revenus à la fin du mois. Il faut donc que nous soyons vigilants quant au travail de nos traducteurs, et arriver à préserver un certain équilibre, avec une alternance de titres difficiles et d’autres plus faciles.
Marc : je crois que oui car le marché est très dynamique et qu’il y a beaucoup de titres qui sortent, donc beaucoup de traduction à faire. Le problème est que les tarifs de traduction n’ont jamais évolué alors que le coût de la vie, lui augmente sans cesse. On compense donc ce décalage en acceptant toujours plus de travail, sans pour autant gagner bien nos vies. Il faudra tout de même que cette conjoncture positive pour le manga en Espagne profite aussi un peu plus aux traducteurs. Les différentes crises économiques ont toutefois laissé des traces dans les mentalités et il est difficile d’être exigeant dans ce milieu tout de même très compétitif aux marges réduites. Pour Daruma, étant nous-même traducteurs, on essaye d’équilibrer les charges de travail pour que chacun arrive à s’en sortir, ne se retrouve pas qu’avec des traductions difficiles et chronophages à faire. Le temps qu’on passe sur chaque traduction est très important et détermine au final nos revenus à la fin du mois. Il faut donc que nous soyons vigilants quant au travail de nos traducteurs, et arriver à préserver un certain équilibre, avec une alternance de titres difficiles et d’autres plus faciles.
Comment voyez-vous l’avenir de la traduction de manga en espagnol ?
Marc : on est à un moment fascinant de changement du manga et de ses traductions avec l’essor du manga numérique qui commence à entrer sur le marché espagnol. Il y a eu le lancement de l’appli Manga Plus en espagnol et en anglais par Shueisha, et on devrait à mon avis voir apparaitre d’autres projets ambitieux allant dans ce sens, avec le développement du simultrad notamment. Je pense qu’on devrait voir apparaitre à l’avenir des plateformes de manga numérique, sur le modèle des Netflix et Crunchyroll. Le besoin en traducteurs de manga comme d’animé, de light novel, n’en sera alors que plus fort. On est à un moment très stimulant et je crois qu’il y aura beaucoup de travail pour nous.
Marc : on est à un moment fascinant de changement du manga et de ses traductions avec l’essor du manga numérique qui commence à entrer sur le marché espagnol. Il y a eu le lancement de l’appli Manga Plus en espagnol et en anglais par Shueisha, et on devrait à mon avis voir apparaitre d’autres projets ambitieux allant dans ce sens, avec le développement du simultrad notamment. Je pense qu’on devrait voir apparaitre à l’avenir des plateformes de manga numérique, sur le modèle des Netflix et Crunchyroll. Le besoin en traducteurs de manga comme d’animé, de light novel, n’en sera alors que plus fort. On est à un moment très stimulant et je crois qu’il y aura beaucoup de travail pour nous.
Merci beaucoup Marc pour toutes ces informations sur le manga en Espagne et la traduction de manga en espagnol.
Plus d’informations statistiques sur le marché du manga espagnol disponibles sur le site de Marc Bernabé (en espagnol) :
www.mangaland.es
Plus d’informations statistiques sur le marché du manga espagnol disponibles sur le site de Marc Bernabé (en espagnol) :
www.mangaland.es